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Peinture : Sujet n° 01 : Le radeau de la Méduse de Géricault

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Peinture : Sujet n° 01 : Le radeau de la Méduse de Géricault Empty Peinture : Sujet n° 01 : Le radeau de la Méduse de Géricault

Message par Invité Sam 26 Fév 2011 - 14:46

Peinture : Sujet n° 01 : Le radeau de la Méduse de Géricault Pdzk8px1cx3zwywj92nm

Introduction :

Mercredi 25 août, la foule se presse à l’inauguration dans le Salon carré du Louvre. Une œuvre aux proportions monumentales de 25 pieds de long sur 16 de hauteur (7,16m x 4,91m) et aux tonalités brunâtres nappées d’un violent clair-obscur, s’impose aux regards des visiteurs. Sous le titre presque anonyme « Scène de naufrage » qui figure dans le livret officiel du salon, elle capte vite les commentaires des chroniqueurs. L’ouverture du Salon le jour de la saint Louis était certes une façon traditionnelle d’honorer le souverain, mais ce choix ne sera pas de bon augure pour le pouvoir. En cet été 1819 la presse pro-gouvernementale comme celle d’opposition, se feront l’écho de l’œuvre d’un jeune peintre inconnu de vingt-huit ans, Théodore Géricault (dont bien des commentateurs écorcheront d’ailleurs le nom dans leurs papiers).

La scène que représente l’immense toile est en revanche bien vite identifiée par les visiteurs et les critiques ne s’y trompent pas qui, malgré le titre bien neutre imposé par la censure dans le catalogue du Salon, reconnaissent dans la vision tragique des naufragés le désastre de la frégate La Méduse trois années auparavant. Exposée de nouveau en Angleterre deux ans plus tard, en 1821, sous son véritable titre cette fois, « le Radeau de la Méduse » s’imposera comme une œuvre majeure, fondatrice de l’école romantique française. Le clairvoyant Comte de Forbin, directeur général du musée du Louvre et tout monarchiste qu’il fût, dès 1824, aussitôt après la mort brutale de Géricault à peine âgé de 32 ans, en fera l’acquisition pour les collections du musée qui aujourd’hui encore l’accueille dans les salles de l’aile Denon.

L’historien Michelet dira de Géricault : « C’est la France, c’est notre société toute entière qu’il embarque sur ce radeau de la Méduse ». Cette œuvre est aussi, de plusieurs manières, une œuvre emblématique de la façon dont l’artiste dans le choix de son sujet peut représenter la crise, dans ses multiples dimensions, voire être lui-même par son œuvre objet de crise, tant par la rupture esthétique qu’elle exprime que par le discours politique qu’elle développe, consciemment ou même au-delà de l’intention originelle de l’artiste.


1) A l’origine une crise née de l’incurie d’un commandement.

Après Nicolas Poussin, Annibale Carracci et Anne-Louis Girodet-Trioson, tous trois peintres de scènes de naufrage et également exposés au Louvre, Géricault a choisi un naufrage récent et qui a frappé les esprits. Il trouve là un sujet d’exception pour décrire l’angoisse de la destinée et les affres de la nature humaine au cœur d’une crise.

La crise relatée dans le tableau de Géricault trouve son origine dans le choix des hommes et la désignation d’un officier, Hugues Duroy de Chaumareys, ancien émigré, de 51 ans, survivant des royalistes décimés par Hoche sur la plage de Quiberon en 1795…mais un amiral qui n’a pas navigué depuis près de vingt-cinq ans. Il commande pourtant un fleuron de la flotte française, La Méduse, frégate de trois mats et quarante-quatre canons, la plus moderne et la plus rapide de notre marine. Elle aurait même dû, en rade de Rochefort, dans la débâcle des Cent Jours, accueillir l’Empereur et sa suite pour une fuite vers les Amériques qui n’aura jamais lieu le port étant sous la menace du feu anglais. Avec la Seconde Restauration et le retour de Louis XVIII sur le trône, l’Angleterre doit restituer à la France son ancienne colonie du Sénégal. La Méduse est désignée pour transporter le nouveau gouverneur, le colonel Julien Schmaltz, son épouse et sa fille, des scientifiques, des troupes, les finances et le matériel. Le 17 juin, de l’île d’Aix, une flottille conduite par La Méduse (avec à son bord plus de 400 passagers) sous le commandement de Chaumareys appareille en direction des côtes africaines. Très vite le commandement se caractérise par son mépris des subordonnés et n’écoute pas les avis des marins chevronnés. Au sein même du commandement du navire les tensions sont vives entre Chaumareys et deux de ses lieutenants, Espiaux et Reynaud. Enfin, la tension est également palpable entre hommes de la monarchie restaurée et anciens des armées impériales. Dès le 23 juin on déplore un homme à la mer, un jeune mousse que la chaloupe dépêchée à son secours ne parviendra pas à sauver.

Contre l’avis de ses officiers, Chaumareys veut couper au plus court et continue le 1er juillet à longer la côte Mauritanienne tandis que les autres vaisseaux, l’Echo, la Loire et le brick l’Argus prennent le large. Dans la nuit du 1er au 2 juillet le capitaine de l’Echo par signaux lumineux tente en vain d’avertir Chaumareys qu’il navigue trop près de la côte. Les marins jettent régulièrement des sondes pour connaître la profondeur de l’eau sous le bateau ; de 36 brasses le matin le fond n’est plus qu’à 15 brasses en début d’après-midi. Muré dans son entêtement Chaumareys prévenu, au lieu de réduire la voilure, donne ordre au contraire de hisser les bonnettes. En quelques instants la sonde n’envoie plus que six brasses de fond. A seize heures, toutes voiles dehors, La Méduse s’enfonce à vive allure profondément dans les sables des hauts-fonds du banc d’Arguin, à cent cinquante kilomètres de la côte africaine et, comble de honte, par beau temps calme et marée haute ! Tous les ingrédients de la crise qui s’impose et n’aurait jamais dû survenir.

Après l’échec de plusieurs tentatives pour remettre à flots la frégate, Chaumareys donne le 5 juillet l’ordre d’abandonner le navire. Les officiers, les passagers…les fonds destinés à l’administration de la colonie et une partie des soldats et marins, prennent place dans la chaloupe et six canots. Chaumareys dont le sens de l’honneur d’officier semble quelque peu en berne est parmi les premiers à quitter La Méduse. Les embarcations ne peuvent accueillir les près de 400 passagers. Aussi un radeau de fortune d’une vingtaine de mètres est construit à la hâte et 152 hommes, essentiellement des soldats, doivent y prendre place. Sans eau, ils ne disposent que de 75 livres de biscuits et de six tonneaux de vin. Dix-sept hommes préfèrent demeurer sur la frégate dans l’espoir d’être rapidement secourus (trois seront retrouvés encore en vie et à moitié fous cinquante-deux jours plus tard). Plus indigne encore ; alors qu’il est prévu que le radeau soit remorqué par les rameurs des canots et la chaloupe qui seule possède une voile, celle-ci toujours commandée par Chaumareys, ne parvient pas à guider l’ensemble. Au lieu de se rapprocher de la côte…les naufragés dérivent vers la haute mer… Dès la première nuit, dans une certaine confusion, les amarres qui relient le radeau à la petite flottille sont coupées les unes après les autres. Désormais le calvaire des naufragés du radeau peut commencer.


2) Géricault dans l’image ultime qu’il nous livre du radeau laisse entrevoir seulement le gouffre d’horreur que connurent les naufragés.

Sous un soleil implacable, bien loin de l’image d’un ciel sombre rendue par Géricault, les naufragés à la dérive sont livrés à eux-mêmes, sans que la moindre autorité ne régule pulsions et instinct de survie. Les deux premières nuits une tempête fait rage et les récits racontent qu’une vingtaine d’hommes tombèrent alors … ou furent poussés à la mer. Suicides, noyades des blessés et malades, rixes sous l’emprise de l’alcool, s’enchaînent dans un climat de violences permanentes où les plus forts éliminent les plus faibles. On est loin là aussi de l’image en forme de fraternité, y compris entre européens et noirs ou métis, que nous présente le peintre. Certains survivants, comme d’autres rescapés un peu plus d’un siècle et demi plus tard au cœur des Andes, découpent la chair des cadavres pour s’en nourrir. Géricault interroge aussi ses contemporains renvoyés à la part d’animalité enfouie au cœur de l’homme et révélée par la crise : « qui aurions-nous été sur le radeau de La Méduse ? ».

Le 17 juillet au matin enfin, le maître canonnier de la Méduse aperçoit une voile à l’horizon. C’est le brick l’Argus qui recherche l’épave pour y récupérer des documents officiels ! Mais l’Argus s’éloigne sans avoir vu le radeau. C’est semble-t-il cet instant d’une pulsion de survie que le peintre nous présente. Le moment de l’espérance à son comble et de la désespérance plus grande encore qui suivra, la voile s’éloignant à l’horizon. Quelques heures plus tard cependant l’Argus repassera à proximité du radeau et cette fois l’aperçoit. C’est, enfin, la délivrance.

Le héros est-il le métis fruit de l’union des deux races et qui, juché sur un tonneau, soutenu par les bras d’un compagnon d’infortune, adresse des signaux désespérés au lointain navire ? Un marin noir, un « nègre » dit-on alors, se distingue également parmi les survivants, hommes blancs noirs ou métis égaux devant la mort et l’espérance.

Le caractère politique de l’œuvre est incontestable bien que longtemps nombre de commentateurs lui refusèrent toute intentionnalité. Ce qui est tout de même une singulière appréciation pour un peintre qui, en rupture avec toutes les conventions en vigueur, a choisi de prendre son sujet dans un fait d’actualité encore brûlante et qui fut au cœur du débat politique. C’est ce que rappelle dès le dévoilement du tableau la censure du catalogue du Salon d’août 1819. Quelques années plus tard avec son Chasseur de la Garde puis avec le Cuirassier Blessé Géricault récidivera dans des œuvres aux clés de lecture politiques. « Jeune homme de bonne famille » nombre d’auteurs ont considéré qu’en Géricault « le peintre dominait le penseur », un peintre certes au génie incontesté mais un « peintre seulement ». Ce n’est pas notre interprétation de l’homme et de ses intentions (notamment son engagement personnel dans les Cent Jours dans les « Mousquetaires Gris » vient démentir un comportement de simple observateur), mais qu’importe, car en matière de crise ce n’est guère l’intention du médiateur qui compte mais la perception qu’en a le public.

Les gazetiers de 1819 ne s’y trompent pas d’ailleurs quand ceux qui soutiennent le gouvernement, comme La Gazette de France ou Le Drapeau Blanc, s’attaquent à l’œuvre d’un pur point de vue pictural et violant les canons académiques, en évitant de mentionner le nom de La Méduse. Tout comme la pièce de théâtre « Le naufrage de la Méduse » avait un an plus tôt été rebaptisée par la censure « Le banc de sable » et maquillée à force de pirates et d’équipage Malais (alors que Géricault était en plein travail, quittait les esquisses pour passer à la toile finale), l’œuvre peinte doit être neutralisée en « Scène de naufrage ».

Il n’y aura cependant ni ambigüité ni Malais ici. L’observateur attentif en effet (le tableau était initialement exposé à hauteur d’homme) notera que l’un des personnages principaux, celui qu’on a souvent désigné comme « le père », homme mûr assis au premier plan, le seul tourné face à nous, le seul qui se détache comme souligné par l’étoffe rouge qui entoure sa tête et drape son dos, porte autour du cou la croix de la Légion d’Honneur, ne laissant aucun doute sur la nationalité et le caractère contemporain des naufragés, même si l’on aurait pu s’attendre à trouver sur la toile davantage de témoignages des uniformes de l’équipage. La Méduse est bien un acte d’opposition, d’une double opposition artistique et politique.

En faisant poser et figurer sur le tableau Corréard et Savigny, deux rescapés qui dès le 13 septembre 1816, de retour en France, publiaient dans le très opposant Journal des Débats leurs révélations sur le scandale de l’échouage, l’incurie du commandement, l’abandon de l’équipage, la tragédie du radeau à la dérive, Géricault conforte la portée réaliste et donc politique de son œuvre. Ce drame qu’avait tenté d’étouffer le gouvernement – c’est même la marine britannique qui avait rapatrié en France les survivants devant les réticences du Ministère français de la Marine à y procéder ! – est donc ravivé par une représentation de 7 mètres sur 4 qu’il est difficile d’ignorer… Toutefois, contrairement à la tradition, la toile ne sera pas acquise par le Musée du Louvre dès la fin du Salon, sanction et échec cuisant pour un Géricault quelque peu découragé après s’être donné corps et âme pendant une année et demie à ce projet. Il décidera alors de quitter la France pour l’Angleterre (et une nouvelle passion…pour le cheval !). Mais la renommée de l’œuvre est déjà établie.


3) Le peintre nous offre la vision d’une crise dans la crise, l’instant où les naufragés espèrent un salut incertain d’une voile à l’horizon.

Les survivants font une évaluation immédiate de la situation ; le risque de ne pas être vus par le seul navire dont ils croisent la route après douze jours à la dérive, autant dire une condamnation s’il poursuit sa route. La tension des hommes vers l’horizon donne une appréciation de la dangerosité tandis que leurs moyens de maîtrise sont dérisoires : agiter quelques lambeaux de vêtements et d’uniformes pour tenter des signaux désespérés. On imagine encore les cris faibles des naufragés, dans une mer toujours bien agitée dont le creux des vagues à droite du tableau donne la mesure sous un ciel lourd. Les désespérés éprouvent la certitude que c’est leur seule chance, le sentiment de l’urgence du navire qui s’éloigne, tandis que la « crise » est d’une ampleur totale dont témoignent des corps sans vie, au premier plan à droite un corps dénudé à demi émergé… Géricault, au réalisme violent mais qui sait composer pour son propos artistique, nous fait grâce de corps… ou morceaux… qui témoigneraient trop explicitement des scènes de cannibalisme.

Le peintre nous offre ici deux horizons temporels ; le temps qui s’écoule lentement au cœur de la crise durant les douze jours d’errance depuis le naufrage dont témoignent les corps et le radeau, et ce temps de rupture, lorsqu’on entrevoit une sortie de crise, la voile salvatrice, quand bien même est-elle une illusion car à cette distance le sauvetage est improbable, même à la longue vue aucune vigie ne pourrait distinguer ces quelques hommes accrochés à des rondins.

Aucune organisation dans cet instant, mais l’improvisation et le chaos comme depuis l’échouage de La Méduse. Chacun y va de son initiative, tour de Babel paradoxale dans un espace aussi réduit. Les alliances ne sont plus que temporaires et aléatoires en petits groupes épars. Est-ce pour cela qu’un insupportable sentiment d’impuissance semble habiter l’homme à l’étoffe rouge, déjà témoin, comme le révèle sa décoration, d’un Empire déchu. Son regard se perd dans le lointain, au-delà du spectateur. Seul un naufragé pratiquement au centre du tableau semble encore témoigner d’une tentative de transcendance, les mains jointes en un geste d’appel désespéré à la Providence.

Et ainsi Géricault nous fait entrer dans la crise, dans un réalisme qui submerge l’idéal, le peintre se fait médiateur entre l’événement et ses contemporains, à peine trois ans après les faits, deux ans après le retentissant procès qui suivi.

Géricault dans son œuvre audacieuse s’engage dans la voie d’une « crise créatrice ».

Par sa technique le peintre refuse les contraintes des normes classiques. Il cherche une liberté de création. L’audace de Géricault influencera probablement Delacroix, futur chef de file des romantiques, qui a partagé la longue création de l’œuvre pendant près de dix-huit mois et posé pour l’un des personnages du radeau (un cadavre face contre le plancher du radeau face contre le radeau, bras gauche étendu). L’œuvre n’est pas encore romantique. Elle se place au terme d’un néo-classicisme qui s’épuise et à l’aube d’un romantisme en gestation dans le réalisme cru qu’expose le peintre. Jusqu’alors les souffrances de l’homme se paraient des fastes de l’Histoire, les grands épisodes bibliques, les exploits des héros antiques et hauts faits des monarques. Aucun héros n’émerge vraiment de la crise étalée sous nos yeux. Pas de noble figure évoquant l’imagerie d’un Achille ou d’un Hector du David. Ici les hommes souffrent, un souffle de vie anime encore certains d’entre eux, soutenu par le seul instinct de conservation. Pas de héros mais une réalité toute animale.

Après l’idée du tableau qui naît dès 1817, puis des croquis, études et de nombreuses esquisses, le tableau lui-même fut peint de novembre 1818 à août 1819. Il est le fruit d’une recherche approfondie. Géricault a réuni tous les éléments lui permettant d’atteindre un réalisme extrême, allant même jusqu’à soudoyer des infirmiers de l’hôpital Beaujon voisin du vaste atelier qu’il a loué, pour se faire porter des fragments anatomiques, bras, pieds, têtes de décapités, pour mieux saisir dans ses études anatomiques les images de la mort. Deux tableaux également célèbres naîtront de cette préparation minutieuse, les Têtes (Musée de Stockholm) et les Membres (Musée de Montpellier). Il retrouvera et interrogera longuement des survivants du radeau ; l’ingénieur géographe Alexandre Corréard et le jeune chirurgien auxiliaire Henri Savigny qui avaient publié dès la fin 1817 un récit de leur calvaire. Il fera même poser pour lui dit-on sept des survivants !

Les visiteurs du Salon de 1819 seront d’emblée frappés par la tonalité brunâtre et le clair-obscur qui dominent l’œuvre, en rupture violente avec les couleurs vives de la peinture néo-classique. Pour obtenir cet effet particulier Géricault utilisera le bitume alors en vogue. Ce matériau a cependant comme caractéristique de demeurer instable et de s’assombrir avec le temps. Ce qui conduira même le Louvre à faire réaliser en 1859 une copie grandeur nature de l’œuvre (aujourd’hui conservée à Amiens).

La palette des couleurs, dans la veine des baroques napolitains ou du Caravage, traitée avec la technique du grattage, est ainsi particulièrement réduite pour mieux entrer en résonnance avec les naufragés. Elle va du noir au beige avec tous les tons de bruns fondus dans des contours flous et confortant l’impression dramatique. Un élément se détache cependant, l’étoffe rouge foncé que porte l’homme mûr au premier plan à gauche.

Cependant Géricault, qui s’est parfaitement documenté, bien que disposant de tous les éléments lui donnant les moyens d’une expression pleinement réaliste, sublimera cette réalité. Les personnages, rasés, coiffés, aux muscles particulièrement marqués ne reflètent pas la pitoyable réalité des corps meurtris par douze jours de famine. Les cadavres présentent une peau certes pâle mais idéalisée sans les marques violettes de la décomposition. De même, l’artiste se libère de la réalité contextuelle en nous présentant le radeau au creux des vagues d’une mer violente sous un ciel sombre et lourd. Mais comment exprimer la tension de la crise sous un ciel dégagé bleu azur dominant une mer d’huile ? Il résume son message : des naufragés abandonnés, en proie à la douleur, victimes appelant à la compassion.

Enfin le radeau tel qu’il apparaît ici est le frêle esquif que l’on peut imaginer, le peintre se centre sur la perception que le public bien informé par le procès et les récits publiés pouvait avoir du radeau. Géricault avait même retrouvé le charpentier de La Méduse qui comptait parmi les survivants et lui avait demandé de reconstituer le radeau dans le vaste atelier qu’il avait loué. Pour autant quel réalisme ? L’artiste mêlera réalité et allégorie. Le véritable radeau avait certes été construit à la hâte et mal construit (il subira d’ailleurs nombre de voies d’eau), mais il était d’une taille sans commune mesure avec le modeste radeau d’environ quatre mètres de côté que nous présente Géricault. Le radeau, sur lequel s’entassèrent 150 marins lors de l’abandon du navire échoué était long d’environ vingt mètres et large de sept.

L’artiste n’a que faire d’une reproduction rigoureuse de la réalité. C’est l’intention, le message, qui lui importe. Sublimé dans la monumentalité de l’œuvre il veut frapper l’imaginaire de ceux qui contemplent l’œuvre, quitter le fait divers et l’élever au rang de l’Histoire.

Pour l’anecdote, l’observateur attentif notera que l’on ne peut distinguer le moindre pied nu de l’un des dix-huit passagers et cadavres du radeau, les pieds qui devraient apparaître en raison de la position des corps, comme celui du cadavre au premier plan gauche, sont bandés, masqués par des linges. Une étude de la toile aux rayons X aurait depuis fait apparaître la difficulté du peintre, et finalement son renoncement, à représenter des pieds nus qui le satisfassent…

Le tableau n’offre au regard aucune symétrie ; il reflète le désordre et le chaos de la survie dans le radeau. Plusieurs lignes de force s’en dégagent dont au premier plan le radeau surchargé et au second plan la mer menaçante, au loin quasi-invisibles, les voiles de l’Argus. Au fur et à mesure de la réalisation de son œuvre Géricault réduira la taille du bateau salvateur, rendant d’autant plus incertaine l’issue. D’ailleurs, si l’on observe attentivement la voile du radeau, on constate que celle-ci est gonflée par un vent qui l’entraîne vers la gauche, à l’opposé même de la route de l’Argus, à l’opposé du sens de la lecture, symboliquement vers le théâtre de la mort, le théâtre d’un martyre sans gloire.

Des cent cinquante deux naufragés qui avaient pris place à bord du radeau douze jours plus tôt, seuls quinze embarquent le 17 juillet à bord de l’Argus, cinq encore mourront peu après leur arrivée à Saint-Louis du Sénégal.

Géricault dans son œuvre a saisi les ingrédients de la tragédie qui s’est jouée dans et autour du radeau, nourrie des ingrédients de la tragédie classique ; unité de lieu de temps et d’action. Mais ici la tragédie se fit crise ; crise humaine avec des désespérés livrés à eux-mêmes, mus par le seul instinct de survie et qui se livrèrent même à des actes de cannibalisme, crise politique avec le rappel qu’apporte son œuvre monumentale alors que l’intense émotion et le procès qui suivirent le retour en France des survivants étaient encore dans toutes les mémoires, la condamnation en cour martiale de Chaumareys et la démission du vicomte Dubouchage Ministre de la Marine, et enfin crise artistique, par la rupture avec le néo-classicisme qu’il engage, annonçant au cœur même des murs de l’Académie le mouvement romantique.

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